mercredi 4 décembre 2013

MONDE SANS OISEAUX Karin Serres Coup de coeur



Collection La Foret
Editions Stock
112 pages
Format 120 x 185
EAN 9782234073951
PRIX 12.5 EUROS


2013-11-13 : Prix Thyde Monnier


RESUME


« Petite Boîte d’Os » est la fille du pasteur d’une communauté vivant sur les bords d’un lac nordique. Elle grandit dans les senteurs d’algues et d’herbe séchée, et devient une adolescente romantique aux côtés de son amie Blanche. Elle découvre l’amour avec le vieux Joseph, revenu au pays après le « Déluge », enveloppé d’une légende troublante qui le fait passer pour cannibale. 

Dans ce monde à la beauté trompeuse, se profile le spectre d’un passé enfui où vivaient des oiseaux, une espèce aujourd’hui disparue. Le lac, d’apparence si paisible, est le domaine où nagent les cochons fl uorescents, et au fond duquel repose une forêt de cercueils, dernière demeure des habitants du village. 
Une histoire d’amour fou aussi poignante qu’envoûtante, un roman écrit comme un conte, terriblement actuel, qui voit la fi n d’un monde, puisque l’eau monte inexorablement et que la mort rôde autour du lac…



L'AUTEUR








Nationalité : France
Né(e) : 1967 
Biographie :

Née en 1967, Karin Serres est auteur et scénographe. Elle a écrit près de vingt-cinq pièces de théâtre dont la liste des titres se décline comme un poème : "Bitume Farouche", "Samouraï Ferraille", "Zut aux pies", "Insolite Soliloque", "Gla-gla"... Certaines de ses pièces (publiées dans la collection Théâtre) ont été créées pour le jeune public, parmi lesquelles : "Marguerite, reine des prés" ou "Colza". Karin Serres écrit aussi des histoires, dont "Lou la brebis" et "Fleurs de vache" parues chez Flammarion.
Site internet : mapage.noos.fr/kserres/ 


MON AVIS

Un véritable coup de coeur. Un petit bijou qui m'a littéralement happée dès les premières lignes dans le monde imaginaire quelquefois inquiétant de Karin Serres.

Karin Serres habituée à l'écriture de théâtre ou de littérature jeunesse réussit de main de maître ce tout premier roman.  Une petite merveille à l'écriture précieuse, poétique, ciselée; oui c'est un véritable travail d'orfèvre que cette fable des temps modernes pourtant bien étrange.


Nous sommes dans un bien drôle endroit.  Dans un village de planches, des maisons de bois toutes colorées, munies d'une roue qui leur permet d'être déplacées lorsque les eaux du lac montent.  Et elles montent chaque année un peu plus depuis le déluge. Un village de pêcheurs, éleveurs de cochons transgéniques fluorescents et amphibies.


Toute la vie de la communauté est gérée par ce lac.  Et lorsque la vie s'arrête, c'est dans le lac que l'on confie les morts, une forêt de cercueils en tapisse le fond. Les cochons roses fluorescents s'y baignent.  Voilà, le décor est planté.

C'est là que naît notre héroïne "Petite Boîte d'Os", fille du pasteur de la communauté.

Ce court roman de 106 pages nous conte sa vie.  Court mais dense car nombreux sont les chemins qui s'ouvrent à votre imagination grâce à l'écriture délicate et précise de Karin Serres.


Petite Boîte d'Os,enfant prend conscience de sa vie au village, elle ne supporte pas l'idée d'avoir cette vie bien organisée, bien régulière, bien policée et sait au fond d'elle-même qu'elle attend autre chose.


Un jour, le vieux Joseph, surnommé "Le Cannibale" rentre au village.  C'est le seul qui ait quitté le village sur une barque il y a des années lors du déluge, il a vu autre chose que leur communauté et pourtant un jour il revient et dit à Petite Boîte d'Os qu'il est revenu pour elle.


Le jour de ses 17 ans ils plongent ensemble dans le lac et explorent la forêt de cercueils qu'il contient  - Petite Boîte d'Os n'explore -t-elle pas son monde intérieur ? - et c'est comme une révélation, leur amour explose au grand jour.  Le véritable Amour celui qui ne s'explique pas, qui vous porte, qui lui donne sa raison d'être.



Ce court roman nous offre une belle réflexion sur le temps qui passe et le cycle perpétuel. La vie n'est-elle pas toujours un éternel recommencement : la vie , la mort, la vie qui revient..Ceci est joliment mis en rapport constant avec la nature et le cycle des saisons. 


"La vie est cyclique.  La barbe pousse sur les joues de Jeff qui la rase, elle repousse.  Il la rase, elle repousse;  L'armée de poils perce la peau du menton et les joues de Jeff, me pique les lèvres quand je l'embrasse et m'embrasse. La vie est ronde.  On se regarde, face à face, tellement près.  On se connaît par coeur, on se redécouvre sans arrêt."


On passera par tous les sentiments : la joie, la tristesse, la mort, la vie. L'écriture est forte et puissante.  Précise très précise, les mots sont choisis avec le plus grand soin.  Les phrases sont courtes aux mots justes et percutants.  Cela me fait assez penser à la littérature japonaise de Kawakami ou Aki Shimazaki.


Le récit est en alternance poétique, tendre mais aussi cruel.  Ce monde imaginaire un peu fou n'est-il en somme pas proche de notre monde réel ?  Un monde en perdition.

N'assiste t-on pas ici au cycle permanent de la vie qui n'arrête malheureusement pas l'évolution et se dirige petit à petit à la perte de l'homme et à l'extinction de l'espèce? 


A noter également un parallèle intéressant  avec la Genèse et la Bible, où l'on parle également du déluge, le père pasteur,  la perte de l'espoir, la fin de l'homme voir la fin du monde?


Beaucoup de pistes donc s'ouvrent à vous.  A vous de choisir votre chemin de lecture. 


Je serai heureuse de partager vos réactions.



Ma note 9.5/10


Un autre avis :  une belle critique de Virginie Neufville




LES JOLIES PHRASES



Au sommet de mon corps, ma tête. A l'intérieur de cette boîte d'os : un flan mou et plissé.  Et c'est cette chose, mon cerveau, qui me permet de penser ?


Nous ne sommes qu'un sac de flan mou dans une petite boîte d'os  !


Comme on lui a appris, il ne montre aucun sentiment : un homme doit savoir se contrôler, et c'est presque ce qu'il  est, un homme, à dix ans.


Ma mère a des yeux bleu rivière gelée, de fins cheveux blonds sévèrement tirés et de hautes pommettes au sang à fleur

J'écris mes premiers poèmes sous un saule, au bord du lac.  Ses longues branchent touchent l'eau tout autour de moi, sa tente vert lumière me protège. Crayon sorti de ma poche, cahier secret sur mes genoux, chuchotement de la mine.  Quand j'écris, une vague d'émotions me traverse, je me sens intensément vivante.....

La blancheur du coton m'aveugle;  Mes doigts transpirent sur le tissu. Distraite, je plante l'aiguille dans mon doigt, le sang jaillit  : un coquelicot dans un champ de neige.  Je suce mon sang, métallique et sucré, il sourd de plus belle.  J'ouvre ma main dans le soleil : entre chaque doigt, la palmure dessine le tutu de  soie des danseuses chauves dont l'une a la tête qui saigne, mitraillée.



Mais comment vivre avec ces seins qui me font mal quand je cours, et ces poils qui poussent partout ?  Suis-je encore moi-même ? Mes pensées vont-elles aussi pousser dans tous les sens et m'échapper ?  Ai-je le choix ? Ne serait-ce pas mieux d'être un homme ?


Petite Boîte d'Os la destructrice, on devrait m'appeler.  Ou bien Ravage.  Je ne les supporte plus, tous, leurs vies, nos vies ordonnées, régulières et policées.  Je déteste notre joli village aux jolies maisons multicolores, bien droites et propres au-dessus de leur joli reflet.  Je hais les jours qui se succèdent, toujours les mêmes.  Le temps passe, je grandis, mon destin se dessine au-dessus de l'eau plate, planche après planche, pas après pas : mariage, enfants, promenade, vaisselle et je n'en veux pas.


Le soleil est encore si pâle, comment croire que c'est lui qui fait fondre l'hiver ?


Je suis de nouveau enceinte.  Celui-là, dans la tête, en secret, je l'appelle KNUT : ça veut dire "NOEUD" en langue ancienne.  Je l'attache par son nom au plus profond de moi, pour qu'il ne tombe pas.


La douleur est peut-être un organisme vivant, invisible, mais réel, qui habite à l'intérieur de notre corps.


Il paraît que nous sommes une sorte de réserve : derrière les montagnes qui rapetissent, une vie urbaine âpre et polluée ferait rage tandis que nous, pêcheurs traditionnels, éleveurs de cochons mutants, nous vivrions dans le passé.


Jour après jour, j'observe la migration secrète des choses.


La vie est cyclique.  La barbe pousse sur les joues de Jeff qui la rase, elle repousse.  Il la rase, elle repousse;  L'armée de poils perce la peau du menton et les joues de Jeff, me pique les lèvres quand je l'embrasse et m'embrasse. La vie est ronde.  On se regarde, face à face, tellement près.  On se connaît par coeur, on se redécouvre sans arrêt.


Jeff sent la terre, la tige de tomates, le vert, et il m'embrasse, moi qui sens la ville, la poussière et le gasoil du bac. 


Je le regarde tous les jours, pourtant.  Sa chair qui s'affine et se plisse, ses cheveux qui blanchissent, je les regarde, je les touche, je les connais, je les aime mais sans observer de changement net, sans comprendre ce que cela annonce, sans voir notre temps passer.  Je n'ai pas vu sa mort arriver. Pas prévu.  Jamais pensé.  Fauchée, je suis, à genoux dans la terre de notre potager.  Stupéfaite qu'il puisse me laisser.


On ne sait pas la dernière fois qu'on voit des gens qu'on aime, que ce sera la dernière fois.



UN ENTRETIEN PUBLIE SUR BABELIO



Entretien de Karin Serres avec Babelio : « Monde sans oiseaux »



Vous êtes auteur jeunesse et dramaturge. « Monde sans oiseaux » est votre premier roman pour adultes. Votre travail d`écriture a-t-il été très différent de celui de vos textes précédents ?

La vraie différence pour moi réside entre le théâtre et le roman, quel que soit l`âge des lecteurs. Au théâtre, d`autres intermédiaires dans le parcours du texte vers le public viendront enrichir ma fiction via sa création et je leur laisse sciemment de la place, ce qui donne une écriture aérée, fragmentaire, à compléter. Dans le roman, je dois tout écrire, c`est un trajet direct de la page aux lecteurs et lectrices, ce qui m`oblige à l`exact équilibre du tout. J`aime beaucoup écrire du théâtre mais je ne choisis pas la forme d`une histoire qui commence, elle s`impose d`elle-même. Et cette force parfois surprenante m`entraîne dans des écritures de forme différente, à des endroits différents dans ma relation littéraire avec le public. J`écris aussi des textes radiophoniques ou des chansons. Sauf commande précise, la question des âges ne se pose qu`après l`écriture. Mon idéal serait d`écrire des textes qui parleraient aux lecteurs de tous âges, à travers des lectures différentes, bien sûr, mais chaque lecture n`est-elle pas singulière ? Une fois mon texte achevé, pour savoir s`il est pour adultes ou plus large, je l`observe de l`extérieur et je me pose cette question : y a-t-il assez de portes d`entrée dans ce texte pour un enfant, pour un adolescent ? “Monde sans oiseaux” peut aussi parler à des adolescents, je crois.


Une « maman-montagne » aux « yeux bleu rivière gelée » … Votre prose est très poétique et également très pudique, sans envolées lyriques ni digressions superflues. Quelles sont vos influences en matière d`écriture ?

Ma plus grande influence vient d`auteurs japonais contemporains comme Yoko OgawaAki Shimazaki,Kobo AbeKenji Miyazawa. Leur justesse, la précision de leurs évocations et leur sensorialité intense me touchent. Ce qui me fascine aussi, c`est la puissance invisible qui jaillit d`entre les pages pour vous saisir brutalement, comme chez William FaulknerFrancisco ColoaneAnnie ProulxJoseph Boyden ou certains auteurs de roman noir comme Ken Bruen ou James Lee Burke. Enfin, le troisième grand courant de mes influences, c`est une matière de la langue, charnelle, tendue et vivante, comme chez Antonio Lobo AntunesLéonora MianoCormac McCarthy ouJon Fosse. Je lis presque exclusivement des auteurs vivants. J`ai fini par admettre qu`une vie ne me suffira jamais à lire tout ce qui pourrait me toucher, mais j`essaie de réduire la hauteur de la montagne de romans de mes contemporains qui m`attendent.


Le lac autour duquel vit Petite Boite d`Os, votre héroïne, est entouré de glaciers, de montagnes et de neige. L`atmosphère arctique, le mode de vie scandinave, vous inspirent-t-ils particulièrement ?

Ce qui m`inspire toujours, c`est la relation entre un espace, les êtres vivants qui l`habitent et le temps. Nous habitons autant les espaces que nous sommes habités par eux. Nous sommes en interaction sensorielle permanente avec le monde. Tout le vivant est proche, qu`on soit humain, animal, végétal ou minéral. Tous, nous traversons le temps et sommes traversés par lui. Et vous avez raison, les univers nordiques, voire arctiques, reviennent souvent dans mon écriture. Les romans deTarjei Vesaas m`ont beaucoup marquée, tout comme les récits de Jean Malaurie, mes origines norvégiennes ou mes voyages de travail en Suède. La part de non-dit vibrant, d`émotions retenues, de lutte contre la violence des éléments dans ces cultures est un formidable terrain de fiction. Et le froid réveille, s`il n`est pas trop extrême.


On apprend qu`il y a longtemps le Déluge a coupé le village du reste du monde pendant des mois, puis les oiseaux ont disparu. Joseph est le seul à s`être aventuré dans la tempête et à y avoir survécu. Ces éléments évoquent la Genèse, L`histoire biblique joue-t-elle un rôle dans votre récit ?

Ce qui est fascinant, lorsqu`on écrit de la fiction, c`est toute la part de ce monde imaginaire que notre cerveau connaît mieux que nous, avant nous. Je n`ai pas décidé en amont de ces références bibliques, elles se sont bâties au fur et à mesure de l`écriture. C`est comme si, chaque fois, un nouveau monde de fiction m`attendait, inconnu au départ. C`est à moi de l`arpenter en pensée pour le découvrir, d`y vivre mentalement pour pouvoir l`écrire. A l`inverse d`une construction rationnelle : une exploration perpétuelle. L`histoire biblique fait partie du “Monde sans oiseaux” à travers des éléments très concrets. Est-ce parce que Narcissus est pasteur, ou l`inverse ? Est-ce parce que face au cycle de la vie et de la mort, on cherche des modèles cohérents de notre monde, on tente de bâtir des systèmes ordonnés ? Et de quels mythes profonds cette histoire biblique elle-même se nourrit-elle ?


A la lecture de votre texte, on se laisse bercer par des éléments très doux mais il y a également des images effrayantes, comme ces cercueils ajourés dans lesquels on place les morts … Pourquoi ce va-et-vient constant entre tendresse et cruauté ?

Les cercueils immergés ne sont pas effayants pour moi. Ce rite étrange est une façon de cohabiter encore un peu avec les morts aimés. L`eau les sépare des vivants comme la terre des cimetières peut aussi le faire.Tendresse et cruauté, nous oscillons toute notre vie entre les deux. Au théâtre aussi, j`écris des tragi-comédies. L`humain est capable du meilleur comme du pire, dans une même vie, dans une seule journée. Nous sommes tous singuliers et singulières mais nous voulons vivre avec d`autres, sans renier pourtant ce que nous sommes et ressentons différemment. Nous comprenons si lentement le monde qui nous entoure, et notre vie est si courte, en regard de cette lenteur. Et pourtant, quelles infimes fulgurances quotidiennes.


La vie de Petite Boite d`Os s`organise autour d`un lac dont le fond est couvert de cercueils et dans lequel s`ébattent d`affectueux cochons amphibies. de l`autre côté du lac, une ville où l`on évite de se rendre. Pourquoi conserver autant de mystère sur cet univers ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le monde dans lequel vit Petite Boite d`Os ?

J`ai écrit tout ce que je sais de ce monde, vraiment. Tout ce qui fait partie de cette histoire, en tout cas, et que j`ai entendu. Entendu et ressenti, pas vu : quand j`écris, je n`ai pas d`image, je n`ai que du son et des sensations. C`est ensuite aux lecteurs et aux lectrices de lire, chacun et chacune avec son propre monde intérieur en écho, de lire même parfois entre les lignes, d`aller regarder derrière l`écorce des arbres ou sous la peau de l`eau. L`autre jour, sur France-Culture, Alain Weinstein m`a demandé si les cochons étaient les âmes des morts immergés. Cette idée nouvelle pour moi m`a paru absolument juste et crédible. Chaque fois qu`une idée de ce genre surgit dans l`esprit d`un lecteur ou d`une lectrice, elle augmente les possibilités du monde que j`ai écrit. Il n`y a pas une seule réalité, mais une infinité de réalités possibles reliées les unes aux autres par l`objet-livre, dans toute la diversité des ressentis.


On qualifie votre texte d`inclassable, comment le définiriez-vous ?

C`est bon signe de ne pas pouvoir définir un livre, ou quoi que ce soit qui nous touche. Tout ne peut pas rentrer dans une boîte, un classeur ou recevoir une étiquette. Notre raison n`est pas plus importante que notre sensibilité ou notre intuition. Si je pouvais définir mon livre, je ne l`aurais pas écrit. Au contraire, c`est pour découvrir toute la complexité de son univers que j`y ai plongé.


Votre prochain ouvrage, jeunesse, théâtre ou roman ?

Je viens de terminer trois textes de théâtre qui seront créés entre octobre et novembre 2013 à Angers, Pau et Lisbonne : “Tag”, série noire et rock, sortira en octobre aux Editions Théâtrales, “A la renverse” et “L`abattoir invisible” sont en cours de lecture chez mes éditeurs préférés. Je travaille maintenant sur un chœur fantastique pour adolescents et sur deux nouveaux romans, l`un pour enfants, l`autre pour adultes que je ferai lire bien sûr à Brigitte Giraud, mon éditrice dans “La forêt”.

interview réalisée par Babelio

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