dimanche 12 janvier 2014

L'ESPRIT DE L'IVRESSE Loïc Merle ** 4/10

L'ESPRIT DE L'IVRESSE

Loïc Merle


L'esprit de l'ivresse


Actes Sud
Parution août 2013
288 pages
ISBN 978-2-330-02354-6
Prix indicatif 21.5 euros

RESUME


Un homme rentre chez lui, fatigué, usé par l’âge et les regrets. La nuit va tomber, les Iris, sa banlieue parisienne, se dressent dans le crépuscule entre épreuve et destination. Ce trajet familier, Youssef Chalaoui pressent confusément qu’il lui sera fatal. Mais il en ignorera l’impact profond, irrévocable, sur le quartier, ses habitants, le pays. Cette nuit-là, au terme d’un long et hésitant et macabre ballet, la périphérie s’enflamme. Et bientôt, la France entière bascule.
Dans L’Esprit de l’ivresse, la révolution est traitée hors champ ; comme les bouleversements organiques du grand corps malade de la société contemporaine. Chorégraphique et musical, le roman procède par mouvements amples. À la course désordonnée et assoiffée de liberté de Clara S., l’égérie malgré elle, répond la fuite ouatée du Président Henri Dumont, bloc de souffrances et d’indécision. Chacun cherche en lui-même un élan radical, un feu qui brûle jusqu’aux lendemains, un ressort contre l’impuissance dérisoire et l’acharnement magnifique que recouvre l’idée de destin.
C’est par les corps individuels que Loïc Merle pénètre et explore la chair collective d’une Grande Révolte imaginaire dont la proximité plausible (inévitable ?) saisit le lecteur. Par les corps que s’exprime le besoin désespéré d’être ensemble et d’êtreplusieurs, face à l’engrenage du réel – et de la realpolitik – qui broie les êtres et les âmes, atrophie les esprits, avorte la notion même d’avenir.
Cette nuit des hommes, l’auteur la dessine d’une phrase riche et lumineuse, légèrement étourdie, comme exactement ivre. Car, semble-t-il nous dire, de vital et de salvateur, ne nous restera-t-il bientôt plus que l’esprit de l’ivresse ? C’est une des questions cruciales qui traversent ce premier roman d’une ampleur et d’une ambition rares.


Commentaire de l'auteur




«J’ai voulu parler de mes vingt ans où tout semblait possible, et qui fut pourtant la période la plus triste de ma vie… De ce temps perdu dans les bars, sans réelle passion et sans travail… Et j’étais un mauvais poète… Je voulais rendre hommage aux gens qui ont partagé mon état de perdition et ont disparu depuis, j’avais l’impression qu’une génération entière avait sombré avec eux, dans un tourbillon, dans des remous dont l’Histoire se moquait… J’ai voulu parler de l’esprit de ma jeunesse, sans ironie, en affirmant quelque chose…
L’ivresse qui m’a intéressé est un moyen, un véhicule, c’est l’ivresse des petites gens, patiente, répétée, sans but, quotidienne, embarrassée d’être jugée, ivresse qui n’a même pas besoin d’alcool ni de drogue, ivresse de l’homme qui attend, ivresse du flâneur, et de la femme qui se transforme et ne sait comment atténuer les douleurs de cette transformation – ivresse qui est comme un sillon suivi, et, à force, bouleverse toute l’attitude, en bien, en mal, qui « emplit le premier venu de la force des événements », disait Victor Hugo…
J’ai imaginé les conséquences que pourraient avoir en France des émeutes de grande ampleur si elles débouchaient sur une révolte généralisée, pendant laquelle quelques personnages apprennent de leur ivresse ou de celle des autres, tentent de se délivrer de leurs addictions pour en acquérir d’autres, meilleures, en tout cas plus conformes aux temps nouveaux qu’ils entrevoient, cernés par de grandes limites : l’attachement à leurs origines, le rôle qu’ils ont tenu pendant toute leur vie ; la mort ; la fidélité à leurs convictions, à la révolte, à la contre-révolte ; la mort.
Je crois que mon roman essaie d’être honnêtement ivre…»


ENTRETIEN AVEC L'AUTEUR


l'avis de l'auteur



MON AVIS


Ce premier roman de Loïc Merle s'inspire des émeutes en France en 2005.  

Nous sommes dans la banlieue parisienne. Youssef Chalaoui, algérien d'origine rentre chez lui fatigué.  Il a un malaise et il sent que ce retour sera difficile. Youssef a le respect des jeunes de son quartier.  Son quartier , avec ses tours HLM, là où il a passé sa vie depuis son arrivée en France : Les Iris. Quartier où les flics font régulièrement des contrôles et où ils ne viennent pas de gaieté de coeur.

Lors d'un contrôle de police, Youssef Chalaoui porte son cabas dans la main gauche, il le tient très fort, son panier avec la menthe fraîche à l'intérieur, il ne le lâche pas.  Les policiers le secouent un peu fort, il tombe, il saigne de la tête et meurt.

Ce malencontreux accident, ce fait divers va faire basculer ce quartier des IRIS.  Peu à peu une vague d'émeutes va envahir la France et les nombreuses révoltes voire révolution obligeront le Président Dumont à fuir.

Le livre est découpé en quatre parties sans réel chapître. L'écriture est dense, Proustienne, de longues, très longues phrases nous sont livrées en blocs.  Assez curieusement en cours de phrase, un espace
on passe à la ligne suivante sans ponctuation et la phrase continue.  C'est perturbant d'autant plus qu'arrivé en fin de phrase on est tout à fait ailleurs qu'au début, une autre idée a pris le dessus.  C'est mon ressenti.

Cela commençait pourtant bien, j'ai apprécié la première partie où l'écriture était douce, mesurée pour nous conter l'histoire de Chalaoui, le début des émeutes, le ressenti de chacun, aussi bien du côté des flics que de celui des révoltés.

La seconde partie plus torturée dans l'écriture, nous parle de Clara S.  Elle fait partie des groupe de révoltes, l'écriture est comme son parcours plus chaotique, exaltée, décousue.
Je m'y suis perdue et vraiment beaucoup ennuyée, ne parvenant pas à faire le lien entre tous les éléments fournis, ne comprenant pas où l'auteur voulait en venir, trop complexe, trop disparate.

Arrive la troisième partie qui retrace la fuite du Président Dumont , nous décrit ses souffrances cachées, son parcours, qui n'a malheureusement pas su garder mon attention et mon intérêt.

J'ai bien compris que ce fait divers a finalement gagné la France, créé une révolution de tout un peuple obligeant le Président à prendre la fuite mais j'avoue à la fin de cette lecture éprouvante ne pas avoir compris la manière dont tout cela est mené, trop décousu pour moi.   Tout ça pour ça !
Je n'ai peut-être pas lu ce livre au moment propice, je suis sans doute passée à côté de ce que d'autres décrivent comme "exceptionnel, novateur" , vous l'aurez compris cette longue prose proustienne  et ce lyrisme ne m'ont absolument pas convaincue et j'en garde un sentiment de lecture pénible et difficile.



ma note sévère 4/10


LES JOLIES PHRASES

Ce soir, cependant, et alors que tout en lui paraissait s'être définitivement effondré, il lui semblait pouvoir visiter ses propres catacombes, sans que cette expérience eût rien d'insoutenable : il contemplait sereinement ses plus solides fondations, l'ensemble de ses petites morts et l'empilement des crânes, il faisait le tour des piliers qui avaient soutenu ses années - aujourd'hui une certaine angoisse avait pris fin, et il ne demeurait plus dans le monde haut et figé des valeurs qui ne font que se perpétuer à l'identique et où l'on mourait comme l'on avait vécu, dans la vénération de la pondération, du mérite, de la famille, du sang et de l'ordre des nations...

Tous ont commenté leur propre incompréhension du mieux qu'ils ont pu, attrapant au vol des mots qui flottaient à leur portée, dans l'air, mais ne les satisfaisaient pas.

La nuit : c'est ici une marche forcée à laquelle on ne peut échapper, un esclavage des plus éprouvants ; c'est une déroute que le souvenir du jour n'est pas capable d'adoucir.

Qu'il est pénible, épuisant de prouver qu'on ne pense pas à mal, qu'en fait on ne veut plus faire  le bien !

C'est comme lorsqu'une hémorragie s'arrête, ou que l'on guérit, et que l'on est soulagé et fier même si la volonté n'y a pris aucune part, et comment dit-on lorsqu'on cesse de faire une chose que l'on a continuée, malgré soi, toute sa vie... On dirait que les lampadaires prêtent un peu de leur incandescence à l'air ambiant, que la nuit s'est animée  des éclairs parcourant les visages et de la blancheur des t-shirts et des pantalons de lin.  Ils sont revenus sur leurs pas, et ils se sont entendus dire, pour se donner du courage : Nous sommes aux iris chez nous après tout, même si nous n'y faisons rien de bon.



La périphérie grondait, l'emprise au sol du capitalisme était telle que nous nous sentions exclues partout et toujours, on ne nous laissait donc que le ciel, et la fumée noire occupant le ciel, les nuages noirs des idées et des actions en accord total avec ces idées atteignant les hauteurs des constellations les plus brillantes, en cette fin de printemps, changeant notre conception même du printemps...Elles voulaient être comme les nuages...

Tu parles sans cesse de protéger et de préserver la flamme de la Révolte afin qu'elle s'étende, comme si tu pouvais savoir ce qu'est une flamme, et un feu, après avoir vu de loin un incendie, comme si tu t'étais brûlée toi même, j'ai donc supposé que tu commencerais par défendre son lieu de naissance aux Iris, sans discussion, son foyer en quelque sorte et son centre en quelque sorte.

Selon toute vraisemblance, il était arrivé à la fin d'un cycle... La France, saccagée par une révolte générale, était parvenue à la fin d'un cycle...  Il n'avait jamais fonctionné que par cycles, pendant lesquels tout ce qu'il apprenait était lié à une seule et même idée lancinante, qui souvent demeurait inconnue... Cette pensée le soutenait toujours : un cycle finissait, un autre, n'importe lequel, le dernier...  Aujourd'hui, parvenu au bout d'un autre cycle, cette idée uniquement le poussait à continuer, et l'empêchait d'ouvrir sa portière pour se jeter sur la route.

Souvent la haine qu'on nous porte est un bon indicateur de justesse de ce que nous faisons.

Le désordre est toujours une défaite pour le peuple, car il ne le maîtrise pas plus qu'il ne l'organise ; il ne fait que le subir.  Seuls ceux qui ne le subissent pas ont le loisir d'en donner une théorie séduisante; seuls ceux qui n'en ont rien à craindre poussent les plus démunis en avant; seuls ceux-là m'inspirent du dégoût.

Le monde est un théâtre.  Dans ce jeu de masques, il importe de savoir où se situe le véritable pouvoir, et les véritables enjeux; il se disait : Qui, s'avisant de cela, décidera une bonne fois de tout brûler, acteurs, audience et décor?  Qui donc?



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