dimanche 2 février 2014

La légèreté Emmanuelle Richard *** 6/10



Emmanuelle Richard
La légèreté
roman
en librairie le 6 février 2014
CollectionLittérature française
Livre140 × 205 mm 276 pagesEAN : 978282360297518,00 €
QUATRIEME DE COUVERTURE


« Alors donc, au départ, il y a ça : la maison blanche simple et bourgeoise prêtée ou soldée, peu importe, et puis le reste, le fond : Antoine s’est jeté du pont de Normandie et elle ne sera jamais légère malgré ses quatorze ans et les champs de coquelicots rouges qui éclatent dans sa tête et l’écrasement du ciel délaissé, les vagues violentes des champs d’herbes sèches qui ondulent subitement, l’odeur de boucherie de ce mois de juillet vibrant. »

Elle est rêche, nerveuse, tordue, électrique. Elle ne peut plus attendre, il faut qu’elle rencontre un garçon. D’errances en déplacements sur une île de vacances, dans un village où elle n’a pas sa place, l’adolescente marche. À la recherche d’autres, pour enfin être vue, car qui peut vivre sans être vu, aimé, désiré ?

Emmanuelle Richard restitue admirablement la sauvagerie de l’adolescence dans ce roman déchirant mais dépourvu de toute forme de sensiblerie



MON AVIS

Premier roman pour Emmanuelle Richard qui traite de l'adolescence.

Je trouve qu'il est tout sauf "léger" comme pourrait le laisser entendre le titre.  Je l'ai ressenti comme grave et tourmenté.

Quoi de plus normal peut-être car nous allons vivre les vacances de notre héroïne âgée de 14 ans et demi.

Elle, ainsi que son petit frère - qui est pour elle l'être le plus important - et ses parents nous emmènent en vacances à l'île de Ré.  D'entrée de jeu, on comprend qu'elle est contrariée, torturée par ses émotions, il y a un vrai mal être en elle.

Antoine 14 ans s'est jeté du Pont de Normandie elle ne le connaissait pas tant que cela mais elle y pense très souvent.  J'ai eu le sentiment que parfois elle était à deux doigts de faire pareil, tellement elle se sent incomprise dans sa tête.

Je dis "dans sa tête" car le livre est écrit de 2 façons. En italique, on vit le "je" ce qu'il y a vraiment dans ses réflexions, dans son esprit.  Autrement on nous parle à la troisième personne.  Les deux écritures se complètent et nous permettent de vraiment cerner notre héroïne.

Elle dépeint le contraste social, sa famille est d'origine modeste, l'argent et les dépenses sont souvent au centre des préoccupations.  Ici, nous sommes sur l'île de Ré, dans des quartiers chics, avec une population huppée.  Mais que fait-elle là ??  Elle a également un regard acide et critique sur ses parents, particulièrement sur son père qui de tout façon ne la comprend pas.

Ce roman décrit aussi le désir, les désirs secrets de notre protagoniste, ce qui explique peut-être ce mal être : je suis moche, on ne me voit pas, j'aimerais être une femme, être désirée, être prise...  Elle est obsédée par son corps trop maigre, son manque de seins, "ses araignées noires"....  Elle est obsédée par le sexe, se sent sale, crasseuse mais qu'est-ce qui est bien ?? Pourquoi c'est bien chez les autres et chez moi cela fait vulgaire ???

Elle veut qu'on la remarque, qu'on l'invite, qu'on l'embrasse mais a peur lorsque le moment arrive...  elle craint ne pas savoir bien faire, elle fuit.

Elle craint de décevoir, de ne pas avoir le temps, elle met la barre trop haut et n'ose pas.

Un témoignage touchant d'une adolescente à la recherche d'elle-même.

L'écriture est belle, la lecture plaisante mais sans plus.


Ma note 6/10

une chose qui m'a interpellée : le nombre incroyable de fois où est utilisé le mot "nuque"

LES JOLIES PHRASES

J'avais oublié que rien n'est totalement gratuit en cette vie à aucun endroit où vous décidez de vous rendre, nulle part, jamais.


A quoi ça sert de venir si on ne comprend rien, A quoi ça sert si vous ne pouvez même pas nous expliquer tout ça, les toiles et les histoires des peintres, des sculpteurs, des artistes, A quoi ça sert de passer de toile en toile sans rien savoir, sans rien comprendre.  Encore un reproche, un de plus.

Si vous lui demandiez elle vous dirait que de toute façon ils seront toujours soudés, elle et lui, lui et elle; qu'ils peuvent se battre et se taper dessus à volonté parce qu'entre frère et soeur ça ne s'abîme pas, jamais, aucune chance.

Je me demande si c'est ainsi que sera ma vie, une succession de tentatives ratées pour aller vers les autres, une ribambelle d'échecs se tenant par la main, pareils aux bonshommes en papier crépon de toutes les fêtes d'école du monde et des kermesses de la terre, sera-ce ainsi que je passerai ma vie, à me traîner péniblement, opiniâtrement, inlassablement, comme un bousier tenace, dans des lueurs troubles de bar, auprès de garçons et de filles qui ne me remarqueront jamais sans calcul donc sans dignité, jusqu'à ce que je me lasse, que je me taise et m'assèche définitivement, pour enfin rester seule, vieille et décatie avec mes chats que j'aurai choisis nus dans un souci égalitaire d'empathie généralisée - ils sont laids et alors ? -, le même genre de sentiments qui poussent certaines personnes à adopter des furets orphelins puants.

Excède déjà de cinq centimètres ce qu'il aurait fallu, fallu pour être parfaite, désirable, parfaitement désirable, parfaitement désirée la plus désirable d'entre toutes et avoir un destin de rêve.

Est-ce qu'il n'y a pas autre chose, quelque part, ailleurs ?  Une autre solution ? Autre chose que le travail et la fatigue, la fatigue et la télé, les courses du samedi et les dimanches à ne rien faire, et les vacances semblables, quasiment identiques, vides à l'égal des longs dimanches de l'année étirés et béants, avec seulement la lumière en plus qui vous brûle d'impatience et vous éperonne d'espoir. Ce qui est pire.

L'art remplit la vie, parce que la vie ne suffit pas.

Quand elle était petite, elle ne pensait pas à son corps.  Il n'existait tout simplement pas. Quand elle était petite, il était là, efficace et suffisant, huilé et confortable, et ça roulait, tout roulait, il n'y avait pas besoin d'y penser ou de réfléchir à ce que l'on portait, de se surveiller et de se regarder faire, de s'observer et de contrôler son image en permanence.  Elle était un tout et non pas une dissociation, pas encore une séparation consommée de son esprit avec son corps, l'un passant son  temps à scruter l'autre pour le juger. .....  Avant c'était avant. Tout à coup elle a un corps qui ne fait plus un avec ce qu'il y a dans sa tête, un corps dont elle a conscience et qui ne la représente plus, un corps encombré dont tout le monde se met à parler et que tout le monde se permet de jauger, d'évaluer, mesurer et elle ne peut rien y faire, il est là et elle doit se mouvoir avec ça, avec tout ce qu'on en dit et qui ne lui plaît pas.

Ici la mer n'existe pas, car en plus tout est plat et aucune rue ne semble monter et s'ouvrir vers la mer.  Ici la mer n'existe pas puisqu'il n'est pas besoin de la gagner - tout est à portée de main et pourtant rien ne peut s'attraper.

Personne n'est à personne.  Empêcher les choses qui doivent se produire d'advenir ne fait que les retarder.


Elle se découvre insondablement triste et ne sait pas nettement ce qu'elle veut, voulait, aurait voulu.  Une chose est sûre, elle aurait aimé qu'ils insistent plus longtemps, et peut-être qu'ils finissent par s'approcher assez pour lui donner une raison de se sauver de se débattre, qu'elle soit farouche, qu'ils la rattrapent.

Prier pour que le garçon vienne à ma rencontre, malgré ma peur immense à tailler au cordeau.  Prier pour qu'il ne vienne surtout pas. Prier pour tout et son contraire.  Pour que ce soit, n'importe, du moment que la vie commence.





Aucun commentaire: