samedi 25 avril 2015

Le Royaume Emmanuel Carrère

Le Royaume

Emmanuel Carrère





















P.O.L Editions
septembre 2014
640 pages
Prix conseillé : 23,9 €
ISBN : 978-2-8180-2118-7

Résumé de l'éditeur

Le Royaume raconte l’histoire des débuts de la chrétienté, vers la fin du Ier siècle après Jésus Christ. Il raconte comment deux hommes, essentiellement, Paul et Luc, ont transformé une petite secte juive refermée autour de son prédicateur crucifié sous l’empereur Tibère et qu’elle affirmait être le messie, en une religion qui en trois siècles a miné l’Empire romain puis conquis le monde et concerne aujourd’hui encore le quart de l’humanité.
Cette histoire, portée par Emmanuel Carrère, devient une fresque où se recrée le monde méditerranéen d’alors, agité de soubresauts politiques et religieux intenses sous le couvercle trompeur de la pax romana. C’est une évocation tumultueuse, pleine de rebondissements et de péripéties, de personnages hauts en couleur.
Mais Le Royaume c’est aussi, habilement tissée dans la trame historique, une méditation sur ce que c’est que le christianisme, en quoi il nous interroge encore aujourd’hui, en quoi il nous concerne, croyants ou incroyants, comment l’invraisemblable renversement des valeurs qu’il propose (les premiers seront les derniers, etc.) a pu connaître ce succès puis cette postérité. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que cette réflexion est constamment menée dans le respect et une certaine forme d’amitié pour les acteurs de cette étonnante histoire, acteurs passés, acteurs présents, et que cela lui donne une dimension profondément humaine.
Respect, amitié qu’Emmanuel Carrère dit aussi éprouver pour celui qu’il a été, lui, il y a quelque temps. Car, comme toujours dans chacun de ses livres, depuis L’Adversaire, l’engagement de l’auteur dans ce qu’il raconte est entier. Pendant trois ans, il y a 25 ans, Emmanuel Carrère a été un chrétien fervent, catholique pratiquant, on pourrait presque dire : avec excès. Il raconte aussi, en arrière-plan de la grande Histoire, son histoire à lui, les tourments qu’il traversait alors et comment la religion fut un temps un havre, ou une fuite. Et si, aujourd’hui, il n’est plus croyant, il garde la volonté d’interroger cette croyance, d’enquêter sur ce qu’il fut, ne s’épargnant pas, ne cachant rien de qui il est, avec cette brutale franchise, cette totale absence d’autocensure qu’on lui connaît.
Il faut aussi évoquer la manière si particulière qu’a Emmanuel Carrère d’écrire cette histoire. D’abord l’abondance et la qualité de la documentation qui en font un livre où on apprend des choses, beaucoup de choses. Ensuite, cette tonalité si particulière qui, s’appuyant sur la fluidité d’une écriture certaine, passe dans un même mouvement de la familiarité à la gravité, ne se prive d’aucun ressort ni d’aucun registre, pouvant ainsi mêler la réflexion sur le point de vue de Luc au souvenir d’une vidéo porno, l’évocation de la crise mystique qu’a connu l’auteur et les problèmes de gardes de ses enfants (avec, il faut dire, une baby-sitter américaine familière de Philip K. Dick…).
Le Royaume est un livre ample, drôle et grave, mouvementé et intérieur, érudit et trivial, total.

L'auteur

Emmanuel Carrère, Auteur des éditions P.O.L


Nationalité : France
Né(e) à : Paris , le 09/12/1957

Biographie :

Emmanuel Carrère est un écrivain, scénariste et réalisateur français.

Ancien élève de Janson-de-Sailly et de Sciences Po, descendant d'une lignée de princes russes où l'on a même compté un éphémère roi d'Albanie, il est le fils de Louis Édouard Carrère et de la soviétologue et académicienne Hélène Carrère d'Encausse, et le frère de Nathalie Carrère et de Marina Carrère d'Encausse.

Emmanuel Carrère est l'auteur de plusieurs scénarios, d'une biographie de Philip K. Dick et de nombreux romans dont "La moustache", "La classe de neige", et "L'Adversaire", les deux derniers ayant été adaptés pour le cinéma respectivement par Claude Miller et Nicole Garcia et sélectionnés en compétition officielle au Festival de Cannes. Son roman, "Limonov", paru en 2011, a reçu le prix Renaudot.

"Retour à Koltelnitch" (2004) est son premier film en tant que réalisateur. Son dernier film, "La moustache", avec Vincent Lindon et Emmanuelle Devos, est sorti en 2005.

"Le Royaume" raconte l’histoire des débuts de la chrétienté, vers la fin du Ier siècle après Jésus Christ et obtient le prix littéraire du Monde en 2014.

Source Babelio


Lecture avec les copines




Il était dans ma PAL depuis la rentrée littéraire, il était donc temps d'en entamer la lecture. Dans le challenge pour vider ma PAL, c'est une lecture avec les copines.

Mes partenaires de lecture : Sur la route de Jostein , Le blog de Kincaid et Passion livresque dont l'avis arrivera un peu plus tard.

Vous trouverez ici leurs avis ici : Jostein , Kincaid et Rosemonde.  Merci encore car la découverte en valait vraiment la peine.



Mon avis

J'ai terminé hier ce volumineux récit de 640 pages qu'est "Le Royaume" et j'avoue que couché sur papier mon ressenti est un exercice difficile tant il y a des choses dont nous pourrions parler.

Le contenu du récit.

Le point de départ est l'interrogation sur la "Résurrection", point de départ du christianisme.

Paul a une vision de Jésus sur le chemin de Damas, il va devenir un "gourou" et répandre la "bonne nouvelle", et si ceci n'était qu'une imposture ???  c'est tout le débat.

Chemin faisant il rencontrera Luc, médecin macédonien, un goy (non-juif) qui le suivra et se convertira.  Il mènera son enquête pour avoir des informations émanant de personnes ayant côtoyés Jésus de son vivant et rédigera plus tard "Les actes des Apôtres" par lequel il racontera l'histoire et la vie de Jésus mais aussi ce qui s'est passé après sa mort et les effets sur le monde romain.

J'ai adoré parcourir l'histoire de Rome et ses empereurs. Si vous avez envie de l'approfondir de façon ludique, je vous conseille Murena, une bd Peplum de Delaby et Dufaux   (lien du blog)

Luc se présente comme un historien mais il a aussi des talents de romancier ce qui fait penser qu'une partie serait inventée.

Emmanuel Carrère a été croyant durant trois ans de sa vie il y a vingt ans. Il écrit ce roman dans lequel il se met en scène en se basant sur entre autres les notes prises à cette époque sur la lecture de l'évangile mais aussi sur base de "L'histoire des origines du christianisme" de Renan et bien d'autres sources.

A l'époque la société avait deux visions des choses :

- celle de la mythologie grecque : Ulysse voulant rentrer chez lui à tout prix pensant que la vie sur terre est importante et que c'est la seule.

- l'autre chrétienne : il faut quitter au plus vite cette vie pour accéder à un monde meilleur: celui du Royaume et refuser le monde dans lequel nous vivons.



Comment décrire cet ouvrage ? 

Il a plusieurs facettes. Ce n'est pas un roman en tant que tel quoi qu'à certains moments, cela se lit comme tel.  C'est une enquête sur l'enquête menée par Luc avant d'écrire son évangile. Mais il s'agit également de la biographie d'un personnage dont en réalité on sait peu de choses : Luc, l'évangéliste qui a accompagné Paul de Tarse dans son périple.  Il s'agit aussi d'une autofiction car Emmanuel Carrère entre en scène à la première personne pour nous accompagner et nous livre son parcours et ses réflexions.  On peut aussi dire qu'il s'agit d'un conte pour la manière de nous raconter les faits, un récit historique et philosophique brossant les années 30 à 80 de notre ère, à savoir la naissance du Christianisme en passant par l'Histoire de Rome.

C'est un récit fabuleux, très intéressant qui par moments remet en cause "l'éducation catholique" reçue dans mon enfance.  C'est un récit grâce auquel on apprend énormément de choses; il est fouillé, hyper documenté.  Un livre que l'on pose en cours de lecture pour partir dans le questionnement, la réflexion sur l'Histoire mais aussi sur le comportement et la psychologie humaine.

Une chose est certaine, c'est un récit qui interpelle, remet en cause et ne peut en aucun cas laisser indifférent.

J'avoue avoir parfois été interpellée par les parallèles et l'usage d'anachronismes se référant à l'union soviétique d'après Lénine, aux nazis, à Oussama Ben Laden, mais avec le recul j'ai trouvé cette approche riche et intéressante, et une touche d'humour de temps à autre était également appréciable.

Cet ouvrage est hyper bien documenté au point que j'avoue m'être un peu perdue et avoir eu un petit passage à vide éphémère dû peut-être à certaines longueurs. Cependant l'intensité de la lecture et mon intérêt pour celle-ci m'ont très vite fait reprendre pied dans la suite de ce récit passionnant.

Je déplore juste cinq pages hors sujet à mon sens sur la pornographie sur internet. J'ai du mal à comprendre l'opportunité d'intégrer ces passages. Si ce n'est que la sincérité et le besoin de transparence totale de son auteur qui dans ce récit nous dévoile une partie très personnelle de sa vie. (3 années en tant que croyant)

J'ai apprécié l'honnêteté intellectuelle de l'auteur, qu'il nous accompagne et nous avertisse à chaque fois de ce qui était fiction et histoire.

J'aurais encore beaucoup de choses à raconter mais je vous invite à lire le bouquin et à faire vous- même vos découvertes, à vous poser ces questions existentielles, à réfléchir sur la naissance et le parcours de cette religion qui aujourd'hui est tout de même celle d'un quart des habitants de la planète.

Le Royaume a décroché le prix du Meilleur livre de l'année du magazine Lire, et le prix littéraire Le Monde

Ma note : 8/10


Les jolies phrases

Hors de toute foi, j'étais convaincu que l'enjeu de la vie commune consiste à se découvrir soi-même en découvrant l'autre, et à favoriser chez l'autre la même découverte.

Avoir la vie en soi, qu'est-ce que cela veut dire ?  Je ne sais pas mais je sais  que j'y aspire.  J'aspire sans la connaître à une autre manière d'être présent au monde, à autrui, à moi-même, que ce mélange de peur, d'ignorance, de préférence étroite sur soi, d'inclination au mal quand on voudrait le bien, qui est notre maladie à tous à que l'Eglise désigne d'un seul mot générique : le péché.

Croire que l'eucharistie n'est qu'un symbole, c'est comme croire que Jésus n'est qu'un maître de sagesse, la grâce une forme de méthode Coué ou Dieu le nom que nous donnons à une instance de notre esprit.

Je me demande si vouloir tellement le croire, ce n'est pas la preuve que, déjà, on n'y croit plus.

L'existence pour eux est un point d'interrogation et même s'ils n'excluent pas qu'à cette interrogation il n'y ait pas de réponses, ils la cherchent, c'est plus fort qu'eux.

Je trouve ça terrible.  Elle pas, visiblement, mais moi je trouve terrible l'idée que la foi puisse passer et qu'on ne s'en porte pas plus mal.

Tu es une chenille, vouée à devenir un papillon.  Si on pouvait expliquer à la chenille ce qui l'attend, elle aurait certainement du mal à le comprendre.  Elle aurait peur. Personne ne se résout facilement à cesser d'être ce qu'il est, à devenir autre chose que soi-même.  C'est cela la Voie.

En réalité, un changement radical a eu lieu. S'il reste invisible, c'est pour mettre leur foi à l'épreuve, et faire le tri. Ceux qui croient ce qu'ils voient ont perdu, ceux qui voient ce qu'ils croient ont gagné.  S'ils méprisent le témoignage de leur sens, s'ils se libèrent des exigences de la raison, s'ils ont prêts à passer pour des fous, ils ont réussi le test.  Ils sont les vrais croyants, les élus : Le Royaume des cieux est à eux.

Il s'est montré devant eux dépouillé de tout prestige, comme un homme nu.  Et c'est ainsi, faible, craintif, tout tremblant, qu'il leur enseigne que la sagesse du monde est folie devant Dieu.  Que ce qui est folie aux yeux du monde, Dieu l'a choisi pour faite honte aux sages.  Ce qui est faible dans le monde, pour confondre ce qui est fort. Ce qui est le plus vil, le plus méprisé - ce qui n'est pas, pour réduire à néant ce qui est.

La vie d'homme vaut mieux que celle de Dieu, pour la simple raison que c'est la vraie.   Une souffrance authentique vaut mieux qu'un bonheur illusoire.  L'éternité n'est pas désirable parce qu'elle ne fait pas partie de notre lot.

Qu'il existe des centaines de langues, donc des centaines de mots pour appeler un chêne n'empêche pas qu'un chêne soit partout un chêne.

Personne ne sait ce qui s'est passé le jour de Pâques, mais une chose est certaine, c'est qu'il s'est passé quelque chose.

Je suis un écrivain qui cherche à comprendre comment s'y est pris un autre écrivain, et qu'il invente souvent, cela me semble une évidence.

Non, je ne crois pas que Jésus soit ressuscité.  Je ne crois pas qu'un homme soit revenu d'entre les morts. Seulement, qu'on puisse le croire, et de l'avoir cru moi-même, cela m'intrigue, cela me fascine, cela me trouble, cela me bouleverse - je ne sais pas quel verbe convient le mieux.

Deux familles d'esprits : celui qui croit au ciel, celui qui n'y croit pas ; celui qui pense que nous sommes dans ce monde changeant et douloureux pour trouver la sortie et celui qui accorde qu'il est changeant et douloureux mais que cela n'implique pas qu'il y ait sortie.

Tu admets donc, poursuit Hervé, que s'il y a une raison, même ténue, de croire qu'il est possible de passer de l'ignorance à la connaissance, de l'illusion à la réalité, ce voyage justifie qu'on s'y consacre et que s'en détourner, le croire vain sans y être allé voir, est une erreur ou une marque de paresse.

Le Royaume est à la fois l'arbre et la graine, ce qui doit advenir et ce qui déjà là.

Pauvres, humiliés, Samaritains, petits de toutes les sortes de petitesse, gens qui se considèrent eux-mêmes comme des pas grand-chose : le Royaume est à eux, et le plus grand obstacle pour y entrer, c'est d'être riche, important, vertueux, intelligent et fier de son intelligence.

Avec le Christ, on peut avoir tué toute sa famille, on peut avoir été la dernière des crapules, rien n'est perdu.  Si bas que vous soyez descendu, il viendra vous chercher, ou alors ce n'est pas le Christ.

C'est la grande objection que l'on peut faire aussi au bouddhisme : que le désir y est désigné comme l'ennemi.  Désir et souffrance de pair, supprimez le désir vous supprimerez la souffrance.

La rébellion a détruit la ville, et Rome détruit la rébellion.  Entendez que les Juifs ont commencé et les Romains pour rétablir la paix n'ont pas eu le choix.

Maintenant, ce qui fait la réussite d'un film, ce n'est pas la vraisemblance du scénario mais la force des scènes et, sur ce terrain-là, Luc est sans rival : l'auberge bondée, la crèche, le nouveau-né qu'on emmaillote et couche dans une mangeoire, les bergers des collines avoisinantes qui, prévenus par un ange, viennent en procession s'attendrir sur l'enfant...  Les rois mages viennent de Matthieu, le boeuf et l'âne sont des ajouts beaucoup plus tardifs, mais tout le reste, Luc l'a inventé et, au nom de la corporation des romanciers, je dis : respect.


rentrée 


5 commentaires:

Jostein a dit…

Pas facile de parler d'un tel livre. Comme toi, je suis ébahie par la qualité et la densité du travail de recherche de l'auteur. J'ai beaucoup apprécié aussi les informations sur les empereurs romains, la destruction du Temple de Jérusalem et la création de la Palestine.
Je n'en ai pas parlé mais je n'ai pas compris non plus ce que venaient faire ces pages sur les sites pornographiques.
Et comme toi, j'ai noirci des pages avec des extraits, des réflexions.
Un grand récit que l'on ne peut que respecter. Merci pour cette LC

nathalie vanhauwaert a dit…

Je pense n'avoir jamais pris autant de notes, il y a tellement de choses dont j'aurais aimé parlé. J'ai appris énormément de choses. Chapeau bas et respect pour le travail d'historien et d'écriture, c'était la première fois que je le lisais mais pas la dernière. Merci encore pour la lecture commune et ton retour.

krol a dit…

Entièrement d'accord avec cet avis et aussi sur les pages sur la pornographie. Un égarement d'Emmanuel Carrère. Je le trouve, au fil des livres, décidément, très fort, cet auteur qui sait mêler sa vie personnelle à celle des autres y compris des premiers chrétiens.

kincaid a dit…

wahou ! Belle chronique ! J'ai été moins sensibles que toi sur les réflexions de l'auteur que j'ai trouvé plus d'une fois trop longues et ennuyeuses mais sinon j'ai bien aimé dans l'ensemble !

Marina Julien a dit…

Je l'avais commencé, puis comme ma liseuse est tombée en panne et que j'en ai racheté une nouvelle, il faut que je le retélécharge !