samedi 23 juillet 2016

86, année blanche - Lucile Bordes ♥♥♥♥♥

86, année blanche

Lucile Bordes





















Editions Liana Levi
«Littérature française»
mars 2016
isbn ePub : 9782867468186
Prix : 10,99


Présentation de l'éditeur


Au printemps 1986, le monde découvre Tchernobyl. Sous le nuage radioactif qui traverse l’Europe, trois femmes se racontent. Lucie, dans le sud de la France, se demande s’il va passer la frontière et bouleverser sa vie d’adolescente. Ludmila, dans la ville ultramoderne qui jouxte la centrale, veut croire que tout est sous contrôle dans l’invincible URSS. Ioulia, à Kiev, rêve d’indépendance et de son jeune amant français. Un moment crucial pour chacune d’entre elles, un moment crucial de notre Histoire. Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, Lucile Bordes se souvient de la peur, de l’attente et du silence. Dans une langue affûtée et poignante, elle dit aussi l’amour, l’engagement et le sens du sacrifice.

L'auteur nous en parle



Mon avis

Tout le monde se souvient du dimanche 27 avril 1986, un incendie éclate dans le réacteur numéro quatre à Tchernobyl.  Un nuage radioactif traverse l'Europe.

A travers la plume de Lucile Bordes, ce sont trois femmes qui vont nous faire le récit d'un morceau de leur vie de ce printemps 86.

Lucie a quinze ans, elle vit près de Marseille.  Elle entend parler de l'incident pour la première fois le mardi 29/04/86 soit ironie du sort le lendemain de l'essai atomique des Français à Mururoa.  Elle est paniquée, elle a vraiment peur que ce ne soit la fin du monde.  Et ce nuage qui s'arrête comme par magie dans le Sud de la France ! Elle est inquiète, voit la mort qui s'approche.  C'est le chaos dans sa famille mais pour d'autres raisons : son père sent approcher le spectre du chômage et la fermeture des chantiers navals, un autre cataclysme.

Ludmila a 25 ans, elle est mariée à Vassyl. Ils ont une petite fille Marina. Ils vivent à Prypiat, une sorte de ville moderne, la vitrine de la Russie, ultra moderne, fleurie.  Une caractéristique : tous travaillent à la centrale de Tchernobyl.  Ce dimanche 27, Vassyl a été appelé pour donner un coup de main pour circonscrire l'incendie.  Ludmila pense au baiser qu'ils n'ont pas échangé.  On vient les chercher pour évacuer les lieux par précaution.  Il ne faut prendre des affaires que pour deux jours., mesures provisoires, ils ne rentreront jamais...

Ioulia vit à Kiev, une centaine de kilomètres de la centrale, avec son mari Petro et leur fille.  Le ménage bat de l'aile depuis qu'elle a rencontré un français.  Au lendemain de l'incident, lâcheté ou sécurité, il est rappelé en France.  Petro va partir, il s'engage comme liquidateur.

Trois voix, trois femmes s'expriment.  Elles nous content leur amour, le sens du devoir, le sens du sacrifice, leur peur, leur désespoir.

Un récit poignant, dur, émouvant, réaliste ou comment par sens du devoir, du sacrifice, tant d'hommes ont fait abandon d'eux-mêmes pour les autres, par amour, par choix, par obligation.

Ce récit m'a remuée, retournée comme aucun livre auparavant.  Quel claque.

Cela fait peur, pousse à la réflexion lorsque aujourd'hui nos dirigeants prolongent le nucléaire sans tenir compte de certains signaux minimisant les risques.  Comment une région est anéantie, les familles déchirées, à tout jamais.

Lucile Bordes nous démontre également la manipulation ou rétention d'informations des autorités. Mesdames, Messieurs les politiques réveillez-vous car ceci n'est pas une fiction et Fukushima n'est pas si loin.

Un livre fort qui remue les consciences.  Une écriture directe, prenante, puissante chargée en émotions.

Encore un joli coup de coeur  ♥♥♥♥


Les jolies phrases

Au coeur du chaos, on nous répétait que tout était sous contrôle.

C'était ça, le plus dur, le temps qu'on nous volait en ne nous disant rien.

En nous raccompagnant au bas de l'immeuble, Vassyl s'était exclamé qu'il n'arriverait rien à l'homme russe tant qu'il aurait assez de vodka pour s'y noyer, radiations ou pas, et il nous avait donné deux bouteilles pour la route.

Et ma voix était d'autant plus assurée qu'il fallait étouffer la rumeur intérieure, celle qui disait que nous tenions nos vies de l'atome et qu'il était peut-être normal que l'atome nous les demande en retour, un jour ou l'autre.

Quand je lui ai demandé pourquoi il avait fait du zèle, il m'a répondu que ce n'était pas du zèle, mais le sentiment du devoir à accomplir, la conviction d'être à sa place, l'évidence  - qui fait l'homme - d'être plus que soi, la main et le coeur de millions d'autres.  Dans son délire, il n'était pas loin de se considérer comme un privilégié : qui a dit que c'est au moment de donner sa vie que l'homme fait la preuve de ce qu'il est ?

Il allait là-bas pour en finir.  Liquider son couple avec la catastrophe, puisque la vie qui avait été la sienne lui semblait à présent un mensonge.

Comment un presque mort peut-il se soucier d'un vivant au point de lui souhaiter une bonne nuit ?

L'absence de Petro était à ce point libératrice que je ne pouvais pas m'empêcher de souhaiter sa disparition pure et simple, définitive.  Qu'il ne revienne pas.

A la manière des enfants qui se sentent incompris et se rêvent orphelins, parce que l'orphelin a cet avantage, à ce moment là, de pouvoir s'inventer les parents qui lui vont, je ne voulais pas qu'il meure vraiment, je me plaisais simplement à imaginer comme ce serait bien s'il mourait.

Ces gens avaient tout perdu.  Il ne leur restait que la chance d'appartenir à un pays qui n'abandonnait pas les siens.




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