mardi 11 avril 2017

La mémoire de l'air - Caroline Lamarche

La mémoire de l'air

Caroline Lamarche


Gallimard - La Blanche
Parution : 30/01/2014
104 Pages
ISBN : 9782070142538
Prix : 11.50€

Présentation de l'éditeur


«Mes tympans se sont mis à siffler, mon cerveau à bouillir, je ne parvenais plus à penser qu’à une seule chose, qui ne me servait strictement à rien à cet instant. Je me suis souvenue de ce que m’avait dit le commissaire de police qui recueillait ma plainte. Il m'avait posé une question qui m’avait plongée dans la confusion la plus grande. J’avais répondu – on répond toujours à un commissaire – quelque chose que je dirai peut-être un jour. Il m’avait dit alors que je devais le taire, que cela resterait entre lui et moi, car si je le disais, cela me desservirait au tribunal.
Allais-je donc passer au tribunal?
Je ne comprenais pas.
Le criminel c’était l'autre, non?
Ou moi?»

D’un monologue guidé par l’étrange beauté d’un rêve, émerge le souvenir de faits qui eurent lieu sans autre témoin que l’air.
L’air conserve la mémoire de toutes les histoires que les humains se racontent depuis la nuit des temps.
Le viol est l’une des plus anciennes. Et des plus actuelles.


Mon avis

Un court mais dense roman.  Riche en émotions.  Un roman qui secoue.  Les mots sont rares mais tellement bien choisis.

L’écriture est directe, poétique.  L’économie de mots nous faire lire l’essentiel entre les lignes. 

Tout commence par un rêve.  Une morte.  Une morte qui ressemble à notre narratrice.  Elle a son âge mais l’aspect d’il y a vingt ans.

Notre héroïne n’a pas de nom.  Elle nous raconte sa vie, sept ans de sa vie commune, d’un amour borderline avec celui qu’elle nomme Davant. 
Il ne pensait qu’à écrire et faire l’amour…  Elle raconte dans le première partie cette histoire, la différence d'origine, lui d'un milieu ouvrier à la mine, elle, cultivée venant d'un milieu aisé.  Le poids de l'éducation, de la religion.

La seconde partie relate un viol, il y a vingt ans; un homme cagoulé brandissant un couteau et hurlant "Si tu cries, je te tue", hante encore sa mémoire.

Ce récit nous parle de la souffrance, de la culpabilité enfouie au fond d'elle, la (sur)vivante.
On y relate la violence conjugale, elle se ment et ne veut pas voir la réalité en face.

Il n'y a aucun pathos, tout se lit entre les lignes.  Quelle force dans ce récit.  Quel contraste aussi entre la beauté de l'écriture et la violence du récit.  Le texte est je le répète MAGNIFIQUE, poétique.  

Je l'ai lu en apnée. Que d'émotions.

Ma note : 9/10


Les jolies phrases


Et je lui décris la beauté de sombrer avec un homme, de voyager avec lui très loin, très profond, jusqu'à ce qu'on appelle la petite mort, qui m'a toujours semblé, à moi, très grande, bien plus grande que l'autre qui viendra un jour sournoisement et laissera mon corps rigide. Dans la petite mort je flotte comme dans une eau très pure, très légère, qui se trouverait à des milliers de mètres de la surface.

A ces mots je sens qu'il y a en moi une faille où le soleil ne pénètre jamais, un lieu glacé et froid dont j'ignore jusqu'au nom.

La mémoire de l'air conserve tous nos gestes et les mots auxquels nous finissons par renoncer.

On ne porte pas plainte contre l'homme qu'on aime. Et même si j'avais cessé de l'aimer, à supposer que cela fût possible, je ne l'aurais pas fait, on ne porte pas plainte contre un homme fragile, de tout temps les êtres exceptionnellement intelligents et sensibles ont été violents, c'est normal, le drame de l'enfant surdoué, un livre a sûrement été écrit là-dessus, l'enfant surdoué a trop de force pour ce monde étroit, sa force même le fait souffrir, cela arrive sans doute aux filles aussi, mais autrement, d'une manière qui n'a pas été vraiment étudiée.

Je ne sais pas pourquoi les urgences sont toujours au sous-sol, c'est un petit enfer peut-être.

Or les mots, ses mots, mes mots, ne suffissaient plus dans nos disputes.Les mots ne suffisent jamais, vient un moment où le corps prend pour ainsi dire naturellement le relais. Je me suis levée brusquement, mue comme par un ressort, j'ai marché tout droit vers lui qui me faisait la leçon, je suis venue contre lui, sans le toucher cependant.

Ce viol est le mien. Chaque viol comme chaque accouchement est unique et n'appartient qu'à celle qui l'a vécu.
Pendant la descente je fus le mouton qui soudain comprend que l'abattoir est au bout ; ses pattes se dérobent et il faut - quelle complication- le traîner.

On dit que le corps soumis à une très grande douleur produit sa propre morphine, l'esprit aussi je crois.

Qu'il m'ait frappée n'est rien. Mais qu'il m'ait rendue coupable de ce coup sur mon bras à cause de mon viol, tout cela s'annonce, il est temps, qu'il n'y aura plus à l'avenir de débat avec un aussi faux témoin.


2 commentaires:

Fanny a dit…

Je ne connaissais pas cette autrice ni ce livre mais ce que tu dis m'intéresse beaucoup!

Anne a dit…

J'ai un livre de Caroline Lamarche dans ma PAL, décidément il faut que je le sorte enfin de ces limbes !